05/09/2018
Serge Joncour : Chien-Loup
Serge Joncour, écrivain français né en 1961, pratique différents métiers avant de se lancer dans l'écriture (publicité, maître nageur). Il publie son premier roman, Vu, en 1998. Il est aussi, avec d'autres artistes et écrivains, l’un des protagonistes de l'émission de radio Des Papous dans la tête sur France Culture. Auteur d’une dizaine de romans dont certains ont été adaptés au cinéma, Chien-Loup son dernier, vient de paraître.
Franck et Lise vivent ensemble depuis plus de vingt ans, lui est producteur de cinéma, elle ancienne actrice. Cet été, Lise a choisi leur lieu de vacances, une maison perdue dans le causse, dans le Lot. Ici c’est le trou du cul du monde, rien alentour, et surtout pas de réseau pour les téléphones portables, une aubaine pour elle venue se ressourcer, un calvaire pour lui, en pleine négociation professionnelle avec ses jeunes associés. A peine installés, un énorme chien apparemment sans maître et venu d’on ne sait où, chien perdu sans collier, semble décidé à leur tenir compagnie…
Serge Joncour mène son roman comme un attelage à deux têtes, alternant les chapitres contant deux histoires distinctes mais qui se rejoignent dans cette maison isolée. L’endroit devenu gîte peu fréquenté a connu un passé mouvementé autant qu’insolite, durant la Première Guerre mondiale, il a servi de refuge à un dompteur et ses fauves avec l’autorisation du maire de la petite bourgade proche, aujourd’hui abandonnée. Des lions et des tigres sur le causse, il y a près de cent ans, c’est bien assez pour avoir alimenté légendes et rumeurs, et repousser quiconque envisageant de s’approcher trop près des lieux.
Comme par un effet de yoyo, le lecteur passe des années de guerre à aujourd’hui sans pour autant être déstabilisé car les deux histoires résonnent l’une dans l’autre. La peur est l’un de leurs points communs, durant les années de guerre elle a mille causes évidentes pour les villageois tandis que pour Franck, être coupé du monde, l’affaiblit et le désarme face à ses « ennemis », ses associés qui tentent de l’évincer.
Le roman qui débute avec un léger mystère lié au lieu (« Ils y seraient heureux. Ou alors ce serait l’enfer. ») devient dans sa dernière partie, une fable sur la violence de l’époque et d’hier au travers du triptyque Nature/Animaux/Hommes, perdant au passage de sa crédibilité narrative. Si la nature est belle – et Joncour sait la décrire magnifiquement, parfois j’ai pensé à Henri Bosco – elle n’est pas exempte de violence ; quant à l’Homme, qu’il soit d’hier ou d’aujourd’hui, il reste un loup pour lui-même. Franck le constatera et devra user de moyens extrêmes pour contrer ses adversaires avant de trouver, enfin, la sérénité et le calme intérieur sous l’œil bienveillant du chien-loup.
Les chapitres sont très courts, l’écriture de Serge Joncour est très belle et j’ai cru y déceler une légère différence de style selon que le récit se déroule durant la guerre ou de nos jours, mais il y a aussi des répétitions qui rallongent un peu trop le texte à mon goût. Pour conclure, nous avons là un bon roman populaire – dans le bon sens du terme, à savoir qu’il plaira à tous.
« A présent il savait que ce territoire n’était pas neutre, il habitait le périmètre de cette femme, de cet homme, de ces lions. Tous ces acteurs engloutis, ces présences d’un autre siècle, il s’y sentait bizarrement lié. D’une façon ou d’une autre leur histoire était toujours là à rôder, elle errait sous forme de molécules de mémoire qu’on tentait de taire ou d’oublier. Il songea à Lise, elle dormait peut-être encore dans la maison grande ouverte, avec les portes et les fenêtres telles qu’il les avait laissées, le chien devait probablement être déjà là, à l’attendre à l’ombre du chêne. Finalement, là-bas tout l’attendait, les vivants et les autres. »
Serge Joncour Chien-Loup Flammarion – 476 pages –
07:43 Publié dans Français | Tags : serge joncour, henri bosco | Lien permanent | Commentaires (4) | Facebook |